Monday 23 December 2013

Des excuses, toujours plus d'excuses.


Les gens ont un intérêt certain pour le parkour. Les questions fusent rapidement : qu’est-ce que c’est ? comment/quand/où vous entrainez-vous ? Et après avoir répondu à ces questions, l’échange se termine souvent sur un « j’aimerais bien en faire » ou « j’aurais bien aimé, dans ma jeunesse ». Alors, on propose : venez-nous rejoindre.
A partir de là, on a soit une réponse par l’affirmative… soit une avalanche infinie d’excuses. Pourquoi se chercher des excuses ? Si l’intérêt et la motivation sont là, pourquoi se retenir ?
Je vais essayer de dissiper quelques doutes et idées reçues qu’on peut avoir sur la pratique du parkour, et répondre à quelques excuses qu’on m’a données ou qu’on aurait pu me donner. J'espère ainsi inspirer les hésitants :D

« C’est trop dangereux »

Chris Rowat (Blane) disait dans une interview[1] que le parkour se situe très bas sur la liste des sports classés en fonction du nombre d’accidents. Tout en haut, il y a l’équitation. Le danger ne vient pas de là où on l’attend. En 6 mois d’activité avec notre association (Parkour Lausanne), nous n’avons eu aucun accident, en dehors des quelques bleus et égratignures inhérentes à n’importe quelle activité physique.
Contrairement à ce que l’on peut voir dans les vidéos, le parkour ne se pratique pas sur des toits d’immeubles. Ce que l’on voit en vidéo, c’est le résultat d’entrainements fréquents, généralement durant des années. L’entrainement, quant à lui, se passe essentiellement au niveau du sol. Le parkour s’apprend de manière très progressive, et s’adapte aux besoins et capacités de chacun. Chacun avance à son rythme, mais chacun avance ! La peur, mécanisme de défense très efficace, nous retient de faire n’importe quoi avec notre corps. C’est un guide, un ami fidèle dans la pratique et en règle générale, il va nous faire éviter la majorité des risques. Paradoxalement, c’est le fait de s’entrainer dans un environnement ne pardonnant pas les erreurs qui va faire que l’on évite les mouvements risqués. Au contraire, s’entrainer dans un environnement potentiellement moins dangereux, comme par exemple en salle, avec des tapis, va inhiber la peur, nous pousser à tenter ce que l’on aurait probablement pas dû, et c’est là que les risques de blessures sont les plus haut.
De plus, le parkour est un apprentissage de nos limites. On apprend progressivement à reconnaitre ce qui est dangereux, ce qui ne l’est pas. S’entraîner en salle n’enseigne pas ce genre de choses : la désinhibition et une bonne chose pour progresser au niveau de la performance, mais pas pour apprendre à mesurer les risques. On peut également noter que le parkour se centre notamment sur le concept de réduction des chocs. On apprend à amortir correctement chaque saut, chaque passement d’obstacle, car le corps comprends qu’il faut s’adapter à la dureté du béton. Cela ne s’apprend dans un environnement mou.
Il faut également mentionner que dans le parkour, on est seul. Pas d’adversaire, pas de partenaires, pas de balle, pas d’équipement en dehors de l’environnement. Pas de pression temporelle. La seule chose qui compte, on pourrait même dire le seul « danger », c’est nous-mêmes. Le risque ne provient que du choix de nos actions, pas d’un élément extérieur incontrôlable. Ceci limite énormément la probabilité de se blesser.
Finalement, le parkour, c’est « être et durer », c’est « être fort pour être utile ». C’est prendre des risques minimes dans des situations peu dangereuses pour en tirer des bénéfices, autant au niveau physique et techniques, que psychologiques. Le but se situe plus dans ces bénéfices que dans la performance en tant que telle. Et ceci fait que l’on n’a moins tendance à mettre en jeu notre intégrité physique dans un but de performance objective.


« Je ne suis pas un casse-cou »

Moi non plus ! J’ai le vertige. Je n’ai jamais osé faire grand chose de dangereux dans ma jeunesse. J’ai mis 6 mois avant d’oser faire un saut périlleux arrière (rien à voir avec le parkour, mais cela montre que je ne suis pas quelqu’un qui se lance sans (sur-)rationaliser une situation), alors même que j’avais tout le matériel nécessaire pour l’apprendre en sécurité.
Le parkour pour moi n’a jamais été une question de repousser absolument ses limites, comme un sport extrême. Il s’agit bien plus d’expérimenter avec ses limites, imaginées ou physiques. Et de se rendre compte que dans bon nombre de cas, ce qui semblait hors de portée n’est en fait qu’un ensemble de mouvements s’apprenant de façon très naturelle. Progressivement, on apprend à reconnaitre les risques d’une situation, et à y réagir correctement. La peur du vide recule, on prend confiance en soi. Comme dit plus haut, le parkour n’est pas fondamentalement dangereux. Et je pense que c’est justement PARCE QUE l'on est pas un casse-cou qu’il faudrait pratiquer le parkour. Une vraie tête brûlée n’en tirera pas grand-chose à part sa performance objective. La confrontation à un obstacle terrifiant, même lorsque l'on finit par abandonner, est au contraire une expérience très riche.

« Je suis trop jeune »

Ça n’a pas vraiment de sens. On a tous bougé d'une manière similaire au parkour dans notre enfance. On en était pas conscient, mais c’est ainsi que l’on apprend à se déplacer et à appréhender notre environnement. Trop jeune pour reprendre une activité que l’on pratiquait déjà avant ? Il est vrai qu’un jeune doit progresser calmement, et prendre conscience de ce qui est bon ou mauvais pour lui. Il est probablement bon d’attendre la fin de la croissance avant de vouloir atteindre des performances surhumaines et des sauts de fond de 15m. Mais de toute façon, je n’aviserais personne d’avoir ce genre de pratique (en tout cas, pas de manière régulière), jeune ou non. De plus, et j’y reviendrai, le parkour n’est pas fondamentalement dangereux, pas plus que n’importe quelle pratique. Pas plus que l’athlétisme, la gymnastique, la course à pied, l’escalade. Probablement moins, en particulier si on s’entoure pour commencer de personnes pouvant conseiller quant à notre technique et sécurité.
Il y a de nombreux exemples de ce que les jeunes sont capables de faire, en voici un qui parlera de lui-même :

« Je suis trop vieux »

Cela fait déjà plus de sens. Le parkour est médiatisé comme étant un sport de jeunes. Et de fait, on entre dans un cercle vicieux où la majorité des pratiquants actuels étant jeunes, les plus vieux n’y seront pas attirés, et par conséquent on obtient une reproduction perpétuelle du milieu. Les jeunes ont également grandi dans ce monde de youtube, des yamakazis et que sais-je. Les plus vieux n’ont probablement jamais connu une discipline similaire au parkour, en tout cas pas pratiquée en milieu urbain. Et le fait que, après des années de pratique les exploits d’un traceur semblent surhumains ne va pas donner confiance à quelqu’un qui sent que ses capacités physiques sont insuffisantes pour pratiquer à ce niveau-là. Mais le parkour n’a pas besoin de ressembler à ça. Comme déjà dit, il se pratique essentiellement au niveau du sol. Chacun le pratique en fonction de ses capacités. L’important est ce que l’on en tire par rapport à ce que l’on était avant d’essayer, pas la performance objective ultime que l’on est capable de faire après des années d’entrainement. Et j’en ai également déjà parlé : le parkour n’est pas plus dangereux qu’une autre activité physique. Le plus vieux marathonien du monde avait 101 ans. Je ne pense pas que passer au-dessus d’une barrière soit plus brutal pour le corps qu’une course de 42 kilomètres!
Voici deux exemples, parmi tant d’autres, que le parkour est accessible à autre chose que des jeunes casse-cous en mal de sensations fortes :

« Je suis une femme »

Déjà : LOL
Bon, j’avoue qu’on ne m’a quand même jamais donné directement cette excuse, et heureusement. Mais socialement, il semble y avoir une certaine retenue. Je ne vais pas analyser le phénomène en détail, il y a de multiples raisons à cela, mais le fait que la majorité des pratiquants actuels soient masculins fait que le champ social se perpétue continuellement, comme il le fait pour le jeune âge des pratiquants. Le peu d’exemples et modèles féminins rends peut-être l’assimilation plus difficile. Toujours est-t-il que je ne vois aucune raison qui empêcherait de pratiquer. Si on pouvait m’en donner, je les réfuterais volontiers, en attendant je n’ai rien à dire de plus.
La seule chose que je puisse faire est de donner des exemples, qui ne sont pas seulement des exemples féminins mais des exemples de mouvements de haute qualité, sans tenir compte du genre !
En voici quelques uns:

Et voici quelqu’un qui pourra raconter mieux que moi l’expérience féminine du parkour : http://www.parkourgenerations.com/node/5476

« Je ne suis pas au mieux de ma forme »

Pas besoin d’être déjà un athlète pour commencer le parkour. Au contraire : vous aurez beaucoup moins à apprendre, et l’expérience sera potentiellement moins enrichissante. Et si je vous disais que le parkour est ce qui pourrait vous rendre le mieux de votre forme ? Personnellement, j’ai d’assez graves problèmes de chevilles. Depuis des années, je boite très régulièrement, et il s’avère qu’un des os de ma cheville s’est nécrosé (miam). Néanmoins, depuis que je pratique le parkour, je suis capable de marcher, courir, sauter de grandes distances sans problème, même si je dois encore parfois m’échauffer avant de pouvoir marcher correctement le matin, ou après être resté trop longtemps assis. La stabilité de ma cheville s’est incroyablement améliorée, je suis passé d’entorses régulières (des mini-entorses jusqu’à plusieurs fois par semaines, et des grosses entorses plusieurs fois par an) à… aucune en un an. De plus, ma force s'est largement développée, sans que j'aie vraiment besoin de faire un effort. S'amuser avec les obstacles régulièrement est suffisant pour obtenir une excellente condition physique !

Voici un exemple de quelqu’un qui, manifestement et de son propre aveu, n’est pas un jeune athlète de 20ans surveillant sa ligne et faisant un complétement de musclation :

Voici James Blake Gallion, atteint d’infirmité motrice cérébrale (IMC) (attention, grosse émotion non-exclue durant le visionnage de cette vidéo):


Max Runham, amputé d’un bras, qui pourtant est un traceur d’exception… et bouge certainement mieux que la majorité de la population :

Un jeune homme et son unique jambe :

Et la liste pourrait encore continuer longtemps. Il faut FAIRE avec ce qu’on a, pas ne rien faire parce qu’il nous manque quelque chose. En particulier si ce quelconque manque pouvait venir à être comblé par la pratique…

« Il fait trop froid  »

Effectivement, je comprends que le froid motive peu. La neige, la glace et la pluie ne sont pas les meilleures conditions pour commencer le parkour. En effet, en apprenant, on est plus statique, et du coup on subit plus fortement les affres de la météo. Néanmoins, aujourd'hui est le 23 décembre, et on continue à pouvoir s'entraîner en t-shirt ! Durant la plus grande partie de l'année, un pull suffit à s'isoler du froid. Trouver un spot à l'abri du vent est également une bonne idée. Cela fait que le nombre de jours où il fait suffisamment froid pour que ce soit désagréable de s'entraîner dehors est vraiment faible. Il est vrai que je ne conseille pas nécessairement au débutants de commencer à s'entrainer durant cette partie de l'année, car peut-être source de démotivation. Mais passé l'apprentissage des bases, le parkour devient plus dynamique, et l'on a vite trop chaud, même en hiver. Le plus dur est de se motiver à sortir de chez soi. Une fois en mouvement, il n'y pas de problème.
De plus, j'ai déjà mentionné l'intérêt de s'entrainer par tous les temps dans mon article précédent[2].. S'il faut être capable de se déplacer à travers son environnement, il faut être capable de le faire même les jours où il ne fait pas bon d'aller à la plage ! Effectivement, certains sauts deviennent plus dangereux, et il est important de savoir comment les appréhender, comment modifier sa technique en accord avec les changements de la météo, et quels mouvements éviter totalement. Tout devient peut-être plus difficile, mais ce n'est qu'une occasion de plus de se confronter à un obstacle !
Au mieux: sortez en même temps que le soleil, lorsqu'il n'y a pas de vent, suffisamment habillé, et regardez où cela vous mène. Il ne fait pas toujours aussi froid que l'on pense.
Au pire: attendez le retour des beaux jours, et entrainez-vous sérieusement. L'hiver suivant, vous ne pourrez pas vous empêcher de sortir :D

« Je ne suis pas/plus assez souple »

Je ne sais pas pourquoi les gens pensent que le parkour requiert ou donne particulièrement de la souplesse. Je n’ai jamais pensé que la souplesse y était un élément central. Elle est utile en tant que compétence pour n’importe quelle activité physique, même dans la vie de tous les jours, afin d’éviter certaines blessures, avoir une bonne posture, des mouvements de la bonne amplitude, dans le bon axe. Et oui, elle aide très certainement à la pratique du parkour, certaines techniques requérant une bonne amplitude. Mais au vu des excellents traceurs manquant de souplesse que je connais, elle me semble ne pas être fondamentale. Et puis, ça s’entraîne, si besoin est ! Mais en règle générale : si on est souple, tant mieux, sinon, comme pour tout le reste, on s’adapte avec les capacités que l’on a.

« Je suis nul en parkour »/« Je viendrai quand je serai fort »

Heeeem. Comment dire. Par où commencer… Sérieusement ? WTF ?
Je ne plaisante pas, on m’a sorti cette excuse en tout cas plus d’une dizaine de fois cette année.
Évidemment, quand on a jamais pratiqué une activité, il y a pas vraiment de raison que l’on y soit bon. Ça me fait penser à la blague du type qui demande à un autre « tu sais nager ? » et le mec lui répond « je sais pas, j’ai jamais essayé ».
Le parkour n'aurait que peu d'intérêt si il n'offrait pas une marge de progression énorme. Mais non seulement cette progression est possible, elle est également en général très rapide ! Avant d'essayer, on pense impossible ce que l'on fera facilement un an plus tard !
Et au niveau communautaire, le but d’un entrainement, est de s’entraîner. D’apprendre. De progresser. Quel est l’intérêt d’y venir seulement après être devenu fort ? Voir quelqu’un bien bouger, le voir réaliser des performances spectaculaires, c’est bien, mais au fond ce n’est pas très intéressant. Par contre, observer quelqu’un se battant contre lui-même pour affronter ses peurs, le voir partir de rien et être présent durant sa progression, ça, c’est enrichissant. Comme le dit Blane dans son dernier article[3], voir les émotions et les méthodes utilisées par quelqu’un durant la confrontation à un obstacle, une situation stressante, nous apprend beaucoup sur cette personne.
Mais il ne s’agit pas seulement de ça : même pour quelqu’un comme moi qui apprécie le plus de s’entraîner seul, il est très utile d’avoir de temps à autres les conseils et le feedback d’autrui. A fortiori lorsque l’on débute, où il me semble essentiel de se référer à quelqu’un ayant de l’expérience. De plus, le parkour n’est pas encore (du moins ici, dans la région lausannoise) dans une situation de transmission verticale de maitre à élève. Il s’agit avant tout d’une transmission horizontale, où tout le monde aide tout le monde, chacun ayant ses techniques spécifiques, ses mouvements de prédilection, ses petites spécialisations, son point de vue subjectif sur la discipline. En ce moment, j’apprends beaucoup des débutants, en observant leur façon de procéder pour apprendre tel ou tel mouvement, ou pour casser un saut. C’est comme ça qu’apparaissent les détails qui peuvent faciliter une technique ou certains enchainements. Et on peut également ainsi apprendre des erreurs des autres.
Il n’est pas forcément facile de se lancer au début dans une activité comme le parkour. C’est un peu étrange, on est tous dans la rue, visibles du public. Il faut accepter ça avant de pouvoir bouger, avant de pouvoir progresser. Accepter que le regard des gens n’est rien, que ce soit lors de la réussite ou lors d’un échec. Avoir peur du regard des autres traceurs devrait par contre être beaucoup plus facile : au vu de la transmission horizontale des savoirs, il me semble clair que nous avons tous le statut d’apprenants. Il n’y a pas de honte à avoir lorsque nous sommes tous en train de progresser à notre rythme en nous basant sur nos propres acquis. J’hésite encore à me considérer comme quelque chose de plus qu’un débutant après deux ans et demi de pratique. Pas par fausse ou sincère humilité, mais simplement parce que je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir quelque chose de plus que quiconque commencerait le parkour. Preuve en est, lorsqu’une personne déjà très active physiquement se met au parkour, elle se rapproche rapidement et sensiblement de mes performances. Oui, j’ai bien de l’expérience en plus, mais clairement pas assez pour pouvoir me considérer comme autre chose qu’un apprenant.
Par pitié : si vous êtes mauvais en parkour, c’est que vous avez besoin de vous entraîner : venez !
Si vous n’avez pas un corps d’athlète finement sculpté, vous avez besoin d’une activité physique qui vous renforce, venez !
C’est seulement le contraire qui ne nécessiterait à la limite (mais l'on peut toujours s’améliorer) pas d’entrainement… backwards logic.


Brève conclusion

Pour terminer, j'aimerais faire comprendre que même s’il y a certains éléments qui peuvent rebuter et faire peur, et s’il y a bien quelques risques, comme dans toute activité, le ratio risque/bénéfice en vaut largement la peine ! Le parkour est un entrainement extrêmement complet et efficace, une expérience psychologiquement très enrichissante, en plus d’enseigner des techniques à haute valeur utilitaire. Ce n’est pas un simple sport, c’est bien plus que cela. La plupart des traceurs ressentent le parkour comme un art de vivre. J'aimerais bien en dire plus, mais vraiment, le seul moyen de s’en rendre compte c’est d’essayer. Je n’ai plus qu’une chose à dire : venez. Ne serait-ce qu’une seule session, l’expérience et l’apprentissage valent la peine de faire le premier pas. Peut-être que vous n’aimerez pas... mais peut-être que votre vie sera changée à jamais !


Wednesday 20 November 2013

Parkour et entrainement


J’essaie de mettre régulièrement mes idées concernant le parkour à l’écrit. Pour me les clarifier, pour les fixer dans ma mémoire, pour me permettre d’en construire d’autres sur une base tangible, pour les partager. Malgré cela, elles restent la plupart du temps à l’état d’ébauches qui s’accumulent. Un jour, je vais bien finir par les ressortir en un ensemble cohérent mais en attendant, cet article ne sera pas bien différent des autres ébauches : je me suis simplement donné la peine de le taper à l’ordinateur. C’est pourquoi je ne prends pas la position de quelqu’un qui prêche un message murement réfléchi, mais plutôt celle de quelqu’un qui communique ses idées parcellées afin que les autres les complètent ou les critiquent. J’espère néanmoins que ces idées seront utiles à quelqu’un d’autre qu’à moi-même, et avec un peu de chance éveilleront-elles autant de réflexions que mon premier article l'a fait. J'ouvre la discussion, à vous de participer à l'effort de guerre !

Cet article aura pour but d’émettre mes quelques idées récentes et moins récentes sur l’entrainement dans le parkour, et les raisons pour lesquelles, selon moi, il diffère de celui appliqué pour un sport quelconque. Je ne tiens pas à montrer en quoi le parkour serait un sport différent des autres : en effet  je pars du constat que le parkour n’est tout simplement pas un sport. Son fonctionnement, ses principes fondamentaux en diffèrent tellement que l’application du mot sport me semble ne pouvoir être autre chose qu’un abus de langage.

Pour une argumentation un peu différente de la mienne, avec une comparaison à des définitions du sport plus diversifiées, je vous invite à lire l’article de Naïm L’1consolable "Parkour-parks ou parkour: il faut choisir".[1] Les points avancés par Naïm sont, grossièrement, que le parkour présente une absence de codification compétitive, de règles et d’institutionnalisation, qui sont nécessaires pour avoir un discipline pouvant être qualifiée de "sport". Il définit alors le parkour comme étant un art. Je ne suis pas en désaccord, et sa redéfinition complète la mienne, simplement le chemin qui a mené ma réflexion n’a pas été exactement le même, c’est pourquoi je me permets d’exposer mon point de vue sans reprendre en détail les réflexions que Naïm a déjà faite sur le même sujet.

Commençons par prendre une définition du sport :
Sport: "Activité physique exercée dans le sens du jeu, de la lutte et de l’effort, dont la pratique suppose un entrainement méthodique, le respect de certaines règles et disciplines."[2]

Le parkour corresponds bien à la première partie de cette définition : il est clair que c’est une activité physique (même si elle est sous-tendue par une activité créative, intellectuelle, comme le mentionne Naïm), et l’on peut bien retrouver l’idée de lutte et d’effort, d’abord contre soi-même (ce qui n’est pas le cas de tous les traceurs, certains ne tenant pas à absolument repousser leurs limites ou à faire un effort désagréable) mais de manière plus générale contre un obstacle (que cet obstacle soit un mur, ou soi-même, on conviendra que l’affrontement à l’obstacle est un aspect fondateur du parkour).
Difficile à dire si le terme de jeu peut être appliqué au parkour, la définition même du mot jeu pouvant varier. On peut néanmoins estimer que oui, puisqu’il est exercé de manière ludique (en tout cas, je l’espère pour vous), et que sa pratique est détachée de la vie quotidienne (dans le sens où il est "accessoire"), n’a pas de fin utilitaire directe (on peut peut-être le considérer comme une préparation à l’utilitaire). Il est vrai que certains peuvent estimer que ce que l’on appelle parkour, le vrai parkour, est seulement son application en situation réelle, ce qui ne relèverait en aucun cas du jeu. Mais avec une telle définition, je pense pouvoir dire qu’aucun traceur ou presque ne fait du parkour (pour des raisons notamment expliquées dans mon premier article[3])… et puis il ne viendrait à personne l’idée de dire que la fuite devant un adversaire, l’escalade en cas d’incendie ou le franchissement d’une barrière pour prendre un raccourci sont des sports.

Mais c’est bien là où je veux en venir : l’entrainement au parkour, ce n’est rien d’autre que le parkour lui-même. Et c’est là où la distinction par rapport au sport est fondamentale. Le parkour est peut-être un art plus qu’un sport, soit. Mais ce qui est certain, c’est qu’il est une méthode d’entrainement avant tout ! Le parkour, c’est bien franchir des obstacles dans le but de se renforcer. Retirer ceci à la discipline, c’est la dénaturer complètement : on obtiendra alors quelque chose qui ressemble à du saut en longueur en milieu urbain (le terme d’urban long jump mériterait presque de définir une nouvelle discipline), ce qui ressort d’ailleurs déjà dans beaucoup de vidéos, le saut de précision ayant pris une importance énorme dans la pratique[4]. J’aime appeler ça le parkour à l’américaine, même si le terme n’est pas nécessairement bien choisi et un peu caricatural, mais tout de même, cet ensemble d’entrainement pratiqué dans un environnement contrôlé (parkour-parks, parkour gyms, powerlifting…), fait de manière très efficace, en termes de gain de performance objective (distance/temps), cette recherche du saut toujours plus long, toujours plus haut, jusqu’à en oublier le sens, a quelque chose du stéréotype américain. L’entrainement dans cet environnement contrôlé se distingue de la performance elle-même, qui elle se fait en extérieur, en conditions réelles. On a alors la transposition, l’application de ces performances entrainées dans un environnement contrôlé, aseptisé, sur un milieu naturel/urbain. Cette transposition se remarque fortement dans la vidéo "Low Gravity In Quebec City"]5] de VinceK7, par exemple.

Ne vous méprenez pas sur mon intention : rien n’empêche que cela soit beau, impressionnant. Rien non plus n’empêche que ces gens sachent très bien ce qu’ils font, et que ce soit une méthode efficace, bien au contraire ! Néanmoins, non seulement ceci n’est à mon sens pas du parkour (ou alors, seulement la partie "moyen de locomotion du parkour"[6], ce qui ne représente pas la discipline dans sa complétude), mais de plus, cette méthode pose divers problèmes qui, malgré son efficacité, font que je ne l'utilise pas (ou peu), et ne la conseille pas (ou pas à n’importe qui).
Tout d’abord, elle ne se passe pas en extérieur. Je pense que ceux qui s’entrainent toujours en intérieur manquent quelque chose. C’est évidemment subjectif, mais pour moi, on se sent mieux, plus libre, en extérieur. Même lors de pluie et de neige, s’entrainer peut tout à fait être un plaisir, pour peu que l’on s’adapte et que l’on s’habille en convenance. Mais plus que le plaisir, le parkour nécessite cet entrainement en condition réelles. Être capable de se déplacer avec des conditions météorologiques défavorables est capital, et cela d’autant plus que connaitre ses limites (et les limites imposées par l’environnement, obstacles glissants, perte de sensation dans les doigts…) est essentiel afin d’éviter certains risques (dont le plus grand est de glisser), et donc de pouvoir se déplacer en adéquation avec l’environnement et nos capacités (c’est-à-dire, ne pas dépasser nos limites afin d’éviter des accidents, mais également pouvoir se rapprocher le plus possible de ces limites, ce qui exige de les connaitre en toute situation). De la même manière, être confronté à l’infinie diversité d’obstacles extérieurs permet cette même adaptation, ce que l’entrainement dans un espace fait sur mesure ne permet que de façon très limitée.

De plus, l’entrainement en milieu contrôlé va forcer des situations qui n’existent pas ou se retrouvent très rarement en extérieur (p.ex. omniprésence de barres hautes dans les parkour-parks[7], et dans les vidéos qui y sont filmées, alors qu’elles sont assez rares en environnement naturel ou se présentent sous des formes très éloignées, comme des branches d’arbres). Par un jeu de miroir, les parks vont être fabriqués en fonction des mouvements les plus pratiqués, appréciés, impressionnants, et l’entrainement dans ces parks va populariser ces mêmes mouvements. On entre alors dans un cercle vicieux, et en cela, la discipline va se détacher de plus en plus du milieu naturel/urbain à mesure que les pratiquants ne trouveront plus leur compte dans la nature en essayant d’imposer leur set de mouvements sur l’environnement au lieu de se laisser guider par lui en s’y adaptant (le fameux "si seulement il y avait tel objet qui me permettrait de faire tel mouvement", dont je ne suis pas innocent).

Au-delà de ça, rien n’empêche de s’entrainer en partie dans un environnement contrôlé, et en partie dans un milieu naturel. Faire du renforcement physique, avec poids du corps ou non, en usant de mouvements de parkour ou non, a toujours fait partie de l’activité physique des traceurs, ne serait-ce qu’en cas de blessure ou de météo vraiment peu propice.
Par contre, il me semble que ces méthodes sont plus intrusives que le parkour au sens de méthode d’entrainement. Cela simplement par ce que soulever une charge apporte souvent moins de plaisir que le fait de se déplacer librement, de jouer avec son environnement. D’ailleurs, pour la plupart, s’astreindre à ce genre d’exercice est pénible. Soit par une souffrance directe liée à l’effort, soit tout simplement par manque de motivation intrinsèque. La seule motivation provient alors du but à atteindre : objectif en termes de distance et de temps, esthétique, hygiène, bonne conscience… mais quel en est réellement l’intérêt ? Qui dit qu’il y aura plaisir au bout de la ligne ? N’est-ce pas se plonger dans une ascèse en rejetant le présent pour un avenir idéalisé ? De même, rien ne montre qu’atteindre un objectif procurera du plaisir. L’important c’est le chemin, pas la destination. Le plaisir vient du changement, de la progression, pas du fait de s’arrêter après avoir atteint un objectif. Souffrir pour atteindre un objectif, qui ne va mener qu’à se fixer un objectif suivant, demandant lui-même de la souffrance me semble contre-productif.

Et même au niveau utilitaire, à quoi sert finalement de pouvoir sauter un demi-pied de plus ou de moins ? Les mouvements du parkour qui se situent à l’extrême de notre capacité ne seront probablement jamais utilisés en situation réelle, au contraire des aptitudes plus "simples", telles que la capacité à absorber un choc, ou à passer une barrière sans encombre. De plus, notre temps ici est limité, et, bien que l’on puisse en retarder l’échéance, nos performances vont nécessairement atteindre un pic puis progressivement décliner. Et à nouveau, ce sont les performances qui sont à nos limites physiques qui devront être les premières à devoir être abandonnées pour éviter des blessures.
Donc, selon moi, la motivation doit être intrinsèque, autant que possible. Cela permet non seulement d’y prendre du plaisir, mais également de maximiser les changes d’atteindre son but, d’arriver à une fin, sans abandonner en cours de route. Même sans une méthode excellente, un grand degré de maitrise peut être atteint dans une tâche lorsqu’elle est pratiquée quotidiennement, et cela, sans aller aux dépens du plaisir.

Finalement, un élément qui fait le succès et l’intérêt du parkour, est son accessibilité. Il ne requiert pas une forme physique surhumaine si on ne s’impose pas d’objectif compétitif. Il ne demande pas de matériel autre qu’une paire de chaussures (et encore, on peut tout à fait pratiquer sans). Il ne nécessite aucune infrastructure autre que l’environnement préexistant. S’entraîner en environnement contrôlé, c’est également s’en rendre en partie dépendant, ne plus pouvoir (ou savoir) s’entrainer (ou s’amuser) n’importe quand, n’importe où. Donc non seulement restreindre les occasions de prendre du plaisir à bouger, mais dans le même temps restreindre celles où l’on peut progresser. A titre d’exemple personnel, je n’aurais en aucun cas atteint le degré de maitrise (relatif) que j’ai en pièces droites si je n’y trouvais pas une motivation intrinsèque et si leur pratique avait requis une infrastructure particulière.
Mon but n’est pas de faire abandonner une méthode qui vous convient, bien au contraire. J’invite simplement à la réflexion, et à chercher une activité qui offre une motivation intrinsèque, où le plaisir peut être direct. Pas seulement dans le parkour, mais en général. Pour ceux qui ne font pas de parkour, trouvez une activité physique qui vous fasse plaisir, trouvez une passion qui vous fera bouger sans vous soucier d’une finalité extrinsèque ou de ses conséquences. Et cela est valable bien au-delà de la discipline sportive. Peser le pour et le contre : vaut-il mieux de souffrir pour un objectif qui ne sera pas nécessairement atteint et même alors n’apportera pas nécessairement le plaisir auquel on pouvait s’attendre ? Ou choisir une autre voie où il peut y avoir plaisir que l’objectif soit atteint ou non ? Sans entrer dans une logique d’hédonisme forcené, repousser le plaisir dans un arrière monde qui recule constamment n’a pas de sens. Et puis, la fin ne justifie les moyens que si il n’y a pas de meilleur moyen. Autant utiliser directement les meilleures moyens, non ?

Pratiquants du parkour, posez-vous la question suivante : prenez-vous plus de plaisir maintenant que lorsque votre niveau était moindre ? Je sais que dans mon cas, c’est le contraire. Mes débuts étaient accompagnés de découvertes et progression constantes sans même me fixer d’objectifs. Aujourd’hui, je dois mettre grandement ma créativité à profit afin de renouveler et réinventer ma pratique de la discipline et retrouver ce même plaisir.

Lorsqu’un débutant vous demandera comment "devenir comme vous", comment réaliser les mêmes performances que vous, dites-lui de prendre son temps. Et il vaut probablement mieux pour lui qu’entre tous les chemins possibles, il prenne le plus difficile, et profite du détour. Le parkour, contrairement aux apparences et à ce que certains semblent penser, ce n’est pas toujours prendre le chemin le plus direct.

P.S. Je déteste conclure. Fin.
P.P.S. Ci-mer à ceux qui ont contribué récemment à ces réflexions par nos échanges, ils se reconnaitront probablement dans les thématiques abordées :)



[1]. N.Bornaz, "Parkour-parks ou parkour, il faut choisir" http://recherche-action.fr/l1consolable/2013/02/04/parkour-parks-ou-parkour-il-faut-choisir/[↩]
[2]. Le Petit Robert 2002. Cette définition a le mérite d’être assez large, abordant divers aspects. Ce n’est peut-être pas la plus exhaustive, mais pas loin. On peut y ajouter les notions de hiérarchie et d’institutionnalisation, qui sont mentionnées dans l’article de Naïm. A noter que c’est également la définition que l’on nous donne en fac de sciences des sports.[↩]
[3]. http://yanndaout.blogspot.ch/2013/08/etre-fort-pour-etre-utile-et-de-fausses.html[↩]
[4]. Cette vidéo le présente par exemple sous forme de satire : http://www.youtube.com/watch?v=3lFh7Ed7hk0[↩]
[5]. http://www.youtube.com/watch?v=Dimso5mvBEY[↩]
[6]. Au cas où ce n’est pas clair : je considère toujours que le parkour a une définition bipartite, la première partie étant "méthode d’entrainement consistant à franchir des obstacles dans le but de se renforcer physiquement et mentalement", la seconde "moyen de locomotion consistant à se déplacer à travers des obstacles de manière efficiente", ces deux éléments se complétant et n’étant pas séparables pour définir ce qu’est réellement le parkour.[↩]
[7]. Je n’ai pas pris le temps de trouver un meilleur exemple, mais en voici tout de même un : http://www.youtube.com/watch?v=PWo8NSOQnHE. Cela dit, j’ai toujours été frappé de voir le nombre de mouvements sur barre haute démontrés dans des vidéos, qui se font sur une structure dédiée, alors que ces mouvements se font très rares dans des environnements urbains ou naturels.[↩]

Saturday 10 August 2013

«Etre fort pour être utile », et de fausses conceptions du Parkour.



« Etre fort pour être utile », une phrase simple qui, pour beaucoup, résume le parkour. Malheureusement, je pense qu’elle n’a pas été comprise correctement, et qu’il s’ensuit une fausse conception très répandue, non seulement chez le public, qui de toute évidence n’a jamais pu comprendre le parkour (et on ne peut l’en vouloir !), mais également chez les pratiquants, qui eux devraient être à même de comprendre leur propre discipline. Surtout, les pratiquants me semblent avoir le devoir de comprendre, afin de ne pas perdre le sens de la discipline.
Je ne parlerai pas ici du freerunning, même si la confusion y est similaire.

Qu’est-ce qu’"être fort pour être utile", le but affirmé du parkour ? Les réponses qui fusent en général, venant autant du public que des pratiquants, fussent-ils puristes (cela s’est vérifié durant les « débats » -si l’on peut appeler ça des débats- concernant la compétition cet hiver), sont semblables aux suivantes :
Le parkour PUR c’est pouvoir « sauter de toit en toit », « échapper à la police/à un tigre/à un requin blanc terrestre urbain », « sortir d’un bâtiment incendié », etc. Je caricature, mais à peine.
Ces réponses ne sont évidemment pas fausses, en soi. Mais, très franchement, quelle est la probabilité d’un tel événement ? Soit vous êtes pompier, ou habitant d’un pays en guerre, soit vous perdez votre temps à vous entrainer pour un événement improbable. Si vous voulez vous rendre utile, devenez pompier, ambulancier, ou policier (comme l'a fait remarquer Scott Bass)[1]. Oui, il faut être prêt à toute éventualité, mais dans ce cas pourquoi négligeons-nous la course à pied (la ville est essentiellement constituée d’espaces vides, et le moyen le plus efficace pour franchir cet obstacle rapidement est… de courir ! Surtout que généralement, lors d’une poursuite, la manière la plus efficace de franchir un obstacle est encore de le contourner), la natation, l’escalade, les techniques d’auto-défense ? Réfléchissez et avouez-le à vous-même : ce n’est pas pour être prêt à tout que vous vous entrainez. Est-ce que vous faites des entrainements en situation extrême, avec du stress ? De la fumée ? La faim et l’épuisement comme compagnons ? De très longs enchainements en improvisant totalement avec d’épuisants (et ennuyeux) sprints dans l’espace qui sépare les obstacles ? Si oui, alors félicitations, vous faites partie d’un nombre extrêmement rare de pratiquants, et vous rejoignez le concept de « Randori Parkour » d’Amos Rendao[2]. (Oui messieurs les compétiteurs, c’est ça la mise en situation réelle, ce n’est pas exactement la compétition). Mais est-ce vraiment la peine si la probabilité d’un événement extrême dans votre vie est quasi nulle ?

La réponse est oui, indirectement. Le parkour a une utilité beaucoup plus prosaïque que de devenir un justicier masqué capable de s’élancer dans le vide en cas d’incendie.
Le parkour est une méthode d’entraînement fun (pas dans le sens où l’on ne prendrait pas notre entraînement au sérieux, mais dans le sens où l’on y prend du plaisir, du moins la plupart du temps). Méthode qui permet d’obtenir des corps efficaces dans de nombreuses situations, des corps capables de s’adapter, et cela accompagné d’un esprit tout aussi fort.
L’utilité qui découle de cette méthode, c’est également monter sur un toit pour ramasser le ballon qu’un gamin a égaré. C’est passer au-dessus d’une barrière sans effort, sans même y penser. C’est se déplacer dans la vie de tous les jours en harmonie avec son corps. C’est savoir amortir correctement les chocs, ne serait-ce qu’en descendant d’un bus sans marchepied. C’est déplacer un meuble pour aider ses grands-parents. On sort totalement du cadre du moyen de locomotion parkour pour entrer dans les bienfaits de la méthode d’entrainement parkour. Créer des hommes forts et complets dans le sens de George Hebert ou David Belle, c’est créer des hommes forts pour la vie est pas simplement pour un jeu qui consiste à grimper et sauter sur des murs.

Venons-en maintenant à une autre explication de l'utilité du parkour, souvent mentionnée: « aller du point A au point B le plus rapidement possible ». Depuis quand le but affirmé du parkour est-il de se déplacer le plus rapidement possible ? Certes, il y a des occasions où la rapidité est de mise, mais bien d’autres où, au contraire, il serait plus judicieux de prendre son temps afin d’assumer sa propre sécurité, éviter les erreurs, conserver son énergie. Je marche, une barrière est devant moi. Je veux simplement atteindre mon point B, peu importe ma vitesse. J’enjambe la barrière, je n’ai pas perdu d’énergie, je n’ai pas eu à y réfléchir, je l’ai fait sans effort, je n'ai pas pris de risque inutile. Pourtant, à nul moment je me suis mis à courir pour atteindre le point B. Ce n’est pas parce que je me déplace avec tranquillité que je n’utilise pas pour autant mon bagage de techniques apprises par le parkour. La définition correcte n’est donc pas « aller du point A au point B le plus rapidement possible », mais « aller du point A au point B avec efficience ». Le concept d’efficience recouvre ainsi un contexte beaucoup plus large, tient compte de la conservation d’énergie, et de notre propre intégrité physique le long du chemin, tout en conservant les rares cas où cela devra également être fait rapidement.

Quand on regarde une vidéo de parkour, ou lorsque l’on observe des pratiquants s’entraînant, on peut avoir l’impression que les efforts sont inutiles. En effet, il s’agit bien là d’entrainement, et les répétitions, les allers-retours, les chemins comportant des prises de risque en apparence inutiles ou des détours que nul n’aurait pris lors d’une réelle recherche d’efficience, font qu’il apparaît difficile de voir à première vue en quoi le parkour se distingue d’un simple jeu détaché de la réalité, voir d'une activité de jeunes casse-cous en mal de sensations fortes.
Il s’agit en fait du « the more you sweat in peace, the less you bleed in war »[3] des militaires, ou comme le disait Raymond Belle « si deux chemins s’offrent à toi, choisis le plus difficile »[4], ou encore de l’histoire du jongleur qui s’entraîne avec 11 balles à l’entrainement, et en enlève 2 pour être à son aise devant son public. « Le Parkour, c’est exactement ça : enchaîner les obstacles, se mettre volontairement des difficultés sur son chemin pour que dans la vie normale, tu sois encore plus à l’aise »[5], nous dit David Belle. Il me semble alors que le parkour, ce n’est pas repousser nos limites pour accomplir des exploits « surhumains » (qui se révéleront inutiles, absolument pas applicables pour un déplacement en situation réelle), mais bien d’accomplir des exploits (ou du moins, ce qui semble en être pour un non-pratiquant) pour agrandir notre « safe zone », la somme des possibilités de notre corps qui nous semblent faisables, faciles, sans danger, et applicables en situation réelle. Faire un saut de précision de 11 pieds de long entre deux barres, on ne le fera jamais pour se déplacer vraiment, situation d’urgence ou non. Mais si jamais le besoin de faire un saut de précision entre deux murs distants de 8 pieds se fait un jour sentir, cela semblera alors totalement naturel.
Et ces possibilités du corps ne sont bien sûr pas limitées au déplacement. Toute activité physique bénéficiera de l’entraînement effectué. Le parkour, parce qu'il nous force à nous adapter à de multiples situations, parce qu'il est une activité physique complète, a une bonne transposition (carry over) sur d'autres disciplines.

On peut voir même plus loin : le parkour n’amène pas uniquement des compétences physiques. Utiliser les obstacles à notre avantage, en tant que grand principe du parkour, peut être étendu à tous les obstacles en général, dans une sorte de « ce qui ne tue pas rends plus fort », permettant de saisir le positif dans l’adversité, de rentrer dans les obstacles de la vie au lieu de lâchement les éviter. L’ouverture d’esprit que peut amener le parkour, en nous débarrassant des fonctions prédéterminées de l’environnement, apprendre à connaître nos limites, à se reconnaître comme juge de nos propres capacités, avoir le courage d'affronter nos peurs (n'oublions pas qu'une phobie se développe d'autant plus qu'on évite le sujet de la phobie!), savoir prendre des risques mesurés pour avancer, … tous ces éléments et bien d’autres encore font que le parkour contribue à créer des personnes fortes et autonomes bien au-delà du simple moyen de locomotion. Reste néanmoins à réfléchir suffisamment sur sa propre pratique de la discipline afin de se rendre compte de ce qu’elle a à nous offrir, et d’appliquer cela afin d’être réellement utile. Et bien sûr, garder en tête que le parkour n’est qu’une des méthodes permettant de se développer, mais que ce genre de bienfaits peut venir de nombreux arts ou activités physiques. Le parkour est celle que j’ai choisi, j’y prends du plaisir et jusqu’à maintenant les effets en sont redoutables, ce n’est pas pour autant qu’elle est adaptée pour tout le monde, ni qu’elle est la plus efficace pour atteindre de tels effets sur le corps ou sur l’esprit. Si l’utilité est votre seul critère, alors peut-être qu’effectuer des recherches, aller voir ailleurs, serait bénéfique (je suis sûr que les militaires doivent avoir des bonnes méthodes pour être fort dans son corps et dans sa tête). Si l'utilité n'est pas votre monomanie, mais que devenir plus fort, plus utile sans pour autant devoir souffrir nuit et jour de votre entraînement, je ne peux que recommander le parkour. (Pas que j'aie testé les méthodes d'entrainement des forces spéciales, mais je doute que l'on y prenne un plaisir constant.)

En conclusion, je pense que le principal pour ne pas oublier en quoi consiste notre discipline, hormis le concept d’efficience, est de garder à l’esprit que le parkour est un condensé d’une méthode d’entrainement et d’un moyen de locomotion, et que les deux s’articulent mais doivent toujours rester séparés dans notre esprit. Le moyen de locomotion profite de la méthode d’entraînement, qui est normalement en grande partie le franchissement d’obstacles, mais profite également de n’importe quelle autre activité physique. La méthode d’entrainement parkour, consistant à franchir des obstacles pour se renforcer, amène bien sûr une locomotion plus efficiente (applicable ou non en dehors de l’entrainement), mais contribue au développement de nombreuses capacités qui peuvent être appliquées à des domaines dépassant largement le cadre du simple « point A -> point B rapidement ». C’est en cela que l’on devient « fort pour être utile », même si on ne l’utilisera jamais pour échapper à un tigre...

Yann Daout

[1] S.Bass, « Pressure and progression », http://www.universalparkour.com/904/pressure-progression/[↩]
[2] Amos Rendao, Parkour Randori, http://www.apexmovement.com/blog/parkour-randori-putting-it-to-the-test-in-real-life-emergency-situations-revised/[↩]
[3] George S. Patton[↩]
[4] D. BELLE, Parkour, Editions Intervista, 2009[↩]
[5] Ibid.[↩]