Monday 23 December 2013

Des excuses, toujours plus d'excuses.


Les gens ont un intérêt certain pour le parkour. Les questions fusent rapidement : qu’est-ce que c’est ? comment/quand/où vous entrainez-vous ? Et après avoir répondu à ces questions, l’échange se termine souvent sur un « j’aimerais bien en faire » ou « j’aurais bien aimé, dans ma jeunesse ». Alors, on propose : venez-nous rejoindre.
A partir de là, on a soit une réponse par l’affirmative… soit une avalanche infinie d’excuses. Pourquoi se chercher des excuses ? Si l’intérêt et la motivation sont là, pourquoi se retenir ?
Je vais essayer de dissiper quelques doutes et idées reçues qu’on peut avoir sur la pratique du parkour, et répondre à quelques excuses qu’on m’a données ou qu’on aurait pu me donner. J'espère ainsi inspirer les hésitants :D

« C’est trop dangereux »

Chris Rowat (Blane) disait dans une interview[1] que le parkour se situe très bas sur la liste des sports classés en fonction du nombre d’accidents. Tout en haut, il y a l’équitation. Le danger ne vient pas de là où on l’attend. En 6 mois d’activité avec notre association (Parkour Lausanne), nous n’avons eu aucun accident, en dehors des quelques bleus et égratignures inhérentes à n’importe quelle activité physique.
Contrairement à ce que l’on peut voir dans les vidéos, le parkour ne se pratique pas sur des toits d’immeubles. Ce que l’on voit en vidéo, c’est le résultat d’entrainements fréquents, généralement durant des années. L’entrainement, quant à lui, se passe essentiellement au niveau du sol. Le parkour s’apprend de manière très progressive, et s’adapte aux besoins et capacités de chacun. Chacun avance à son rythme, mais chacun avance ! La peur, mécanisme de défense très efficace, nous retient de faire n’importe quoi avec notre corps. C’est un guide, un ami fidèle dans la pratique et en règle générale, il va nous faire éviter la majorité des risques. Paradoxalement, c’est le fait de s’entrainer dans un environnement ne pardonnant pas les erreurs qui va faire que l’on évite les mouvements risqués. Au contraire, s’entrainer dans un environnement potentiellement moins dangereux, comme par exemple en salle, avec des tapis, va inhiber la peur, nous pousser à tenter ce que l’on aurait probablement pas dû, et c’est là que les risques de blessures sont les plus haut.
De plus, le parkour est un apprentissage de nos limites. On apprend progressivement à reconnaitre ce qui est dangereux, ce qui ne l’est pas. S’entraîner en salle n’enseigne pas ce genre de choses : la désinhibition et une bonne chose pour progresser au niveau de la performance, mais pas pour apprendre à mesurer les risques. On peut également noter que le parkour se centre notamment sur le concept de réduction des chocs. On apprend à amortir correctement chaque saut, chaque passement d’obstacle, car le corps comprends qu’il faut s’adapter à la dureté du béton. Cela ne s’apprend dans un environnement mou.
Il faut également mentionner que dans le parkour, on est seul. Pas d’adversaire, pas de partenaires, pas de balle, pas d’équipement en dehors de l’environnement. Pas de pression temporelle. La seule chose qui compte, on pourrait même dire le seul « danger », c’est nous-mêmes. Le risque ne provient que du choix de nos actions, pas d’un élément extérieur incontrôlable. Ceci limite énormément la probabilité de se blesser.
Finalement, le parkour, c’est « être et durer », c’est « être fort pour être utile ». C’est prendre des risques minimes dans des situations peu dangereuses pour en tirer des bénéfices, autant au niveau physique et techniques, que psychologiques. Le but se situe plus dans ces bénéfices que dans la performance en tant que telle. Et ceci fait que l’on n’a moins tendance à mettre en jeu notre intégrité physique dans un but de performance objective.


« Je ne suis pas un casse-cou »

Moi non plus ! J’ai le vertige. Je n’ai jamais osé faire grand chose de dangereux dans ma jeunesse. J’ai mis 6 mois avant d’oser faire un saut périlleux arrière (rien à voir avec le parkour, mais cela montre que je ne suis pas quelqu’un qui se lance sans (sur-)rationaliser une situation), alors même que j’avais tout le matériel nécessaire pour l’apprendre en sécurité.
Le parkour pour moi n’a jamais été une question de repousser absolument ses limites, comme un sport extrême. Il s’agit bien plus d’expérimenter avec ses limites, imaginées ou physiques. Et de se rendre compte que dans bon nombre de cas, ce qui semblait hors de portée n’est en fait qu’un ensemble de mouvements s’apprenant de façon très naturelle. Progressivement, on apprend à reconnaitre les risques d’une situation, et à y réagir correctement. La peur du vide recule, on prend confiance en soi. Comme dit plus haut, le parkour n’est pas fondamentalement dangereux. Et je pense que c’est justement PARCE QUE l'on est pas un casse-cou qu’il faudrait pratiquer le parkour. Une vraie tête brûlée n’en tirera pas grand-chose à part sa performance objective. La confrontation à un obstacle terrifiant, même lorsque l'on finit par abandonner, est au contraire une expérience très riche.

« Je suis trop jeune »

Ça n’a pas vraiment de sens. On a tous bougé d'une manière similaire au parkour dans notre enfance. On en était pas conscient, mais c’est ainsi que l’on apprend à se déplacer et à appréhender notre environnement. Trop jeune pour reprendre une activité que l’on pratiquait déjà avant ? Il est vrai qu’un jeune doit progresser calmement, et prendre conscience de ce qui est bon ou mauvais pour lui. Il est probablement bon d’attendre la fin de la croissance avant de vouloir atteindre des performances surhumaines et des sauts de fond de 15m. Mais de toute façon, je n’aviserais personne d’avoir ce genre de pratique (en tout cas, pas de manière régulière), jeune ou non. De plus, et j’y reviendrai, le parkour n’est pas fondamentalement dangereux, pas plus que n’importe quelle pratique. Pas plus que l’athlétisme, la gymnastique, la course à pied, l’escalade. Probablement moins, en particulier si on s’entoure pour commencer de personnes pouvant conseiller quant à notre technique et sécurité.
Il y a de nombreux exemples de ce que les jeunes sont capables de faire, en voici un qui parlera de lui-même :

« Je suis trop vieux »

Cela fait déjà plus de sens. Le parkour est médiatisé comme étant un sport de jeunes. Et de fait, on entre dans un cercle vicieux où la majorité des pratiquants actuels étant jeunes, les plus vieux n’y seront pas attirés, et par conséquent on obtient une reproduction perpétuelle du milieu. Les jeunes ont également grandi dans ce monde de youtube, des yamakazis et que sais-je. Les plus vieux n’ont probablement jamais connu une discipline similaire au parkour, en tout cas pas pratiquée en milieu urbain. Et le fait que, après des années de pratique les exploits d’un traceur semblent surhumains ne va pas donner confiance à quelqu’un qui sent que ses capacités physiques sont insuffisantes pour pratiquer à ce niveau-là. Mais le parkour n’a pas besoin de ressembler à ça. Comme déjà dit, il se pratique essentiellement au niveau du sol. Chacun le pratique en fonction de ses capacités. L’important est ce que l’on en tire par rapport à ce que l’on était avant d’essayer, pas la performance objective ultime que l’on est capable de faire après des années d’entrainement. Et j’en ai également déjà parlé : le parkour n’est pas plus dangereux qu’une autre activité physique. Le plus vieux marathonien du monde avait 101 ans. Je ne pense pas que passer au-dessus d’une barrière soit plus brutal pour le corps qu’une course de 42 kilomètres!
Voici deux exemples, parmi tant d’autres, que le parkour est accessible à autre chose que des jeunes casse-cous en mal de sensations fortes :

« Je suis une femme »

Déjà : LOL
Bon, j’avoue qu’on ne m’a quand même jamais donné directement cette excuse, et heureusement. Mais socialement, il semble y avoir une certaine retenue. Je ne vais pas analyser le phénomène en détail, il y a de multiples raisons à cela, mais le fait que la majorité des pratiquants actuels soient masculins fait que le champ social se perpétue continuellement, comme il le fait pour le jeune âge des pratiquants. Le peu d’exemples et modèles féminins rends peut-être l’assimilation plus difficile. Toujours est-t-il que je ne vois aucune raison qui empêcherait de pratiquer. Si on pouvait m’en donner, je les réfuterais volontiers, en attendant je n’ai rien à dire de plus.
La seule chose que je puisse faire est de donner des exemples, qui ne sont pas seulement des exemples féminins mais des exemples de mouvements de haute qualité, sans tenir compte du genre !
En voici quelques uns:

Et voici quelqu’un qui pourra raconter mieux que moi l’expérience féminine du parkour : http://www.parkourgenerations.com/node/5476

« Je ne suis pas au mieux de ma forme »

Pas besoin d’être déjà un athlète pour commencer le parkour. Au contraire : vous aurez beaucoup moins à apprendre, et l’expérience sera potentiellement moins enrichissante. Et si je vous disais que le parkour est ce qui pourrait vous rendre le mieux de votre forme ? Personnellement, j’ai d’assez graves problèmes de chevilles. Depuis des années, je boite très régulièrement, et il s’avère qu’un des os de ma cheville s’est nécrosé (miam). Néanmoins, depuis que je pratique le parkour, je suis capable de marcher, courir, sauter de grandes distances sans problème, même si je dois encore parfois m’échauffer avant de pouvoir marcher correctement le matin, ou après être resté trop longtemps assis. La stabilité de ma cheville s’est incroyablement améliorée, je suis passé d’entorses régulières (des mini-entorses jusqu’à plusieurs fois par semaines, et des grosses entorses plusieurs fois par an) à… aucune en un an. De plus, ma force s'est largement développée, sans que j'aie vraiment besoin de faire un effort. S'amuser avec les obstacles régulièrement est suffisant pour obtenir une excellente condition physique !

Voici un exemple de quelqu’un qui, manifestement et de son propre aveu, n’est pas un jeune athlète de 20ans surveillant sa ligne et faisant un complétement de musclation :

Voici James Blake Gallion, atteint d’infirmité motrice cérébrale (IMC) (attention, grosse émotion non-exclue durant le visionnage de cette vidéo):


Max Runham, amputé d’un bras, qui pourtant est un traceur d’exception… et bouge certainement mieux que la majorité de la population :

Un jeune homme et son unique jambe :

Et la liste pourrait encore continuer longtemps. Il faut FAIRE avec ce qu’on a, pas ne rien faire parce qu’il nous manque quelque chose. En particulier si ce quelconque manque pouvait venir à être comblé par la pratique…

« Il fait trop froid  »

Effectivement, je comprends que le froid motive peu. La neige, la glace et la pluie ne sont pas les meilleures conditions pour commencer le parkour. En effet, en apprenant, on est plus statique, et du coup on subit plus fortement les affres de la météo. Néanmoins, aujourd'hui est le 23 décembre, et on continue à pouvoir s'entraîner en t-shirt ! Durant la plus grande partie de l'année, un pull suffit à s'isoler du froid. Trouver un spot à l'abri du vent est également une bonne idée. Cela fait que le nombre de jours où il fait suffisamment froid pour que ce soit désagréable de s'entraîner dehors est vraiment faible. Il est vrai que je ne conseille pas nécessairement au débutants de commencer à s'entrainer durant cette partie de l'année, car peut-être source de démotivation. Mais passé l'apprentissage des bases, le parkour devient plus dynamique, et l'on a vite trop chaud, même en hiver. Le plus dur est de se motiver à sortir de chez soi. Une fois en mouvement, il n'y pas de problème.
De plus, j'ai déjà mentionné l'intérêt de s'entrainer par tous les temps dans mon article précédent[2].. S'il faut être capable de se déplacer à travers son environnement, il faut être capable de le faire même les jours où il ne fait pas bon d'aller à la plage ! Effectivement, certains sauts deviennent plus dangereux, et il est important de savoir comment les appréhender, comment modifier sa technique en accord avec les changements de la météo, et quels mouvements éviter totalement. Tout devient peut-être plus difficile, mais ce n'est qu'une occasion de plus de se confronter à un obstacle !
Au mieux: sortez en même temps que le soleil, lorsqu'il n'y a pas de vent, suffisamment habillé, et regardez où cela vous mène. Il ne fait pas toujours aussi froid que l'on pense.
Au pire: attendez le retour des beaux jours, et entrainez-vous sérieusement. L'hiver suivant, vous ne pourrez pas vous empêcher de sortir :D

« Je ne suis pas/plus assez souple »

Je ne sais pas pourquoi les gens pensent que le parkour requiert ou donne particulièrement de la souplesse. Je n’ai jamais pensé que la souplesse y était un élément central. Elle est utile en tant que compétence pour n’importe quelle activité physique, même dans la vie de tous les jours, afin d’éviter certaines blessures, avoir une bonne posture, des mouvements de la bonne amplitude, dans le bon axe. Et oui, elle aide très certainement à la pratique du parkour, certaines techniques requérant une bonne amplitude. Mais au vu des excellents traceurs manquant de souplesse que je connais, elle me semble ne pas être fondamentale. Et puis, ça s’entraîne, si besoin est ! Mais en règle générale : si on est souple, tant mieux, sinon, comme pour tout le reste, on s’adapte avec les capacités que l’on a.

« Je suis nul en parkour »/« Je viendrai quand je serai fort »

Heeeem. Comment dire. Par où commencer… Sérieusement ? WTF ?
Je ne plaisante pas, on m’a sorti cette excuse en tout cas plus d’une dizaine de fois cette année.
Évidemment, quand on a jamais pratiqué une activité, il y a pas vraiment de raison que l’on y soit bon. Ça me fait penser à la blague du type qui demande à un autre « tu sais nager ? » et le mec lui répond « je sais pas, j’ai jamais essayé ».
Le parkour n'aurait que peu d'intérêt si il n'offrait pas une marge de progression énorme. Mais non seulement cette progression est possible, elle est également en général très rapide ! Avant d'essayer, on pense impossible ce que l'on fera facilement un an plus tard !
Et au niveau communautaire, le but d’un entrainement, est de s’entraîner. D’apprendre. De progresser. Quel est l’intérêt d’y venir seulement après être devenu fort ? Voir quelqu’un bien bouger, le voir réaliser des performances spectaculaires, c’est bien, mais au fond ce n’est pas très intéressant. Par contre, observer quelqu’un se battant contre lui-même pour affronter ses peurs, le voir partir de rien et être présent durant sa progression, ça, c’est enrichissant. Comme le dit Blane dans son dernier article[3], voir les émotions et les méthodes utilisées par quelqu’un durant la confrontation à un obstacle, une situation stressante, nous apprend beaucoup sur cette personne.
Mais il ne s’agit pas seulement de ça : même pour quelqu’un comme moi qui apprécie le plus de s’entraîner seul, il est très utile d’avoir de temps à autres les conseils et le feedback d’autrui. A fortiori lorsque l’on débute, où il me semble essentiel de se référer à quelqu’un ayant de l’expérience. De plus, le parkour n’est pas encore (du moins ici, dans la région lausannoise) dans une situation de transmission verticale de maitre à élève. Il s’agit avant tout d’une transmission horizontale, où tout le monde aide tout le monde, chacun ayant ses techniques spécifiques, ses mouvements de prédilection, ses petites spécialisations, son point de vue subjectif sur la discipline. En ce moment, j’apprends beaucoup des débutants, en observant leur façon de procéder pour apprendre tel ou tel mouvement, ou pour casser un saut. C’est comme ça qu’apparaissent les détails qui peuvent faciliter une technique ou certains enchainements. Et on peut également ainsi apprendre des erreurs des autres.
Il n’est pas forcément facile de se lancer au début dans une activité comme le parkour. C’est un peu étrange, on est tous dans la rue, visibles du public. Il faut accepter ça avant de pouvoir bouger, avant de pouvoir progresser. Accepter que le regard des gens n’est rien, que ce soit lors de la réussite ou lors d’un échec. Avoir peur du regard des autres traceurs devrait par contre être beaucoup plus facile : au vu de la transmission horizontale des savoirs, il me semble clair que nous avons tous le statut d’apprenants. Il n’y a pas de honte à avoir lorsque nous sommes tous en train de progresser à notre rythme en nous basant sur nos propres acquis. J’hésite encore à me considérer comme quelque chose de plus qu’un débutant après deux ans et demi de pratique. Pas par fausse ou sincère humilité, mais simplement parce que je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir quelque chose de plus que quiconque commencerait le parkour. Preuve en est, lorsqu’une personne déjà très active physiquement se met au parkour, elle se rapproche rapidement et sensiblement de mes performances. Oui, j’ai bien de l’expérience en plus, mais clairement pas assez pour pouvoir me considérer comme autre chose qu’un apprenant.
Par pitié : si vous êtes mauvais en parkour, c’est que vous avez besoin de vous entraîner : venez !
Si vous n’avez pas un corps d’athlète finement sculpté, vous avez besoin d’une activité physique qui vous renforce, venez !
C’est seulement le contraire qui ne nécessiterait à la limite (mais l'on peut toujours s’améliorer) pas d’entrainement… backwards logic.


Brève conclusion

Pour terminer, j'aimerais faire comprendre que même s’il y a certains éléments qui peuvent rebuter et faire peur, et s’il y a bien quelques risques, comme dans toute activité, le ratio risque/bénéfice en vaut largement la peine ! Le parkour est un entrainement extrêmement complet et efficace, une expérience psychologiquement très enrichissante, en plus d’enseigner des techniques à haute valeur utilitaire. Ce n’est pas un simple sport, c’est bien plus que cela. La plupart des traceurs ressentent le parkour comme un art de vivre. J'aimerais bien en dire plus, mais vraiment, le seul moyen de s’en rendre compte c’est d’essayer. Je n’ai plus qu’une chose à dire : venez. Ne serait-ce qu’une seule session, l’expérience et l’apprentissage valent la peine de faire le premier pas. Peut-être que vous n’aimerez pas... mais peut-être que votre vie sera changée à jamais !


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